29 juin 2014

Traversée



Reprise et réécriture d'un texte de mars 2008.  Parmi les commentaires de ce moment là, je suis honoré de la présence distinguée de Michel X Côté.

***

Traversée
En cette heure inconnue de l'enfance 
les voyageurs de la nuit
ont passé leur examen final de mascaret
sous le piano des chimères
qui dégoulinent
en touches blanches et noires
se dépouillant en silence
de leurs fardeaux 
d'oiseaux
 de premier jet

pour l'aveugle de la bouche
désormais
à travers les branches du jour qui se lève
le temps libre est
comme une valise ouverte
 sur le lit 
de l'avalanche des lèvres. 



27 juin 2014

Daniel Lanois à Montréal

Passage hier à la salle Wilfrid-Pelletier de Daniel Lanois résumé de belle façon dans Le Devoir de ce matin par Sylvain Cormier.  Du folk-country aux accents de musique contemporaine. Nous en étions.

J'ai reçu des photos superbes de l'ami Sylvain Legault.  Avec son aimable autorisation.

Photo Sylvain Legault. Daniel Lanois et Emmylou Harris.
Photo Sylvain Legault. Trixie Watley, intense!

Photo Sylvain Legault. Lanois flanqué de l'as batteur Brian Blade. 

25 juin 2014

Saskatoon Coeurs battant!

Saisissant! Sang rouge. Jam père et fiston.

23 juin 2014

La Fête nationale du Québec


Je ne suis pas pantoute nationaliste identitaire au sens du beau nous nous, mais je suis d'une nation, pas de trois ni de dix. Ce qui est intense et intéressant, fatigue ou pas, il me semble, c'est l'impulsion de devenir soi ensemble, non pas de répétailler ce qui aurait dû être. Et parce que la poésie en ce paysage est le plus souvent marquante, en ce qu'il y a dessour, et je dirais malgré tout, j'aime bien relire à la veille de la Fête nationale du Québec deux articles qui sont dépareillés, mais je les aime pour cela : on y récapitule de grands pans de poésie qui résiste dans un horizon ouvert et solidaire.
Le second, sous la plume de Michel Lapierre dans le numéro 213 de l'Aut'journal en octobre 2002, s'attache brillamment à la figure continentale, américaine d'Alfred DesRochers, ce fils déchu d'aïeule indienne qui a le front bas, la barbe rare, tout comme moi... Je suis un brin chaud vin, j’aime le poète d'Orford qui est de mes Cantons, mais c'est parce qu'il a puisé la lumière, non pas la noirceur et le rabougris, dans l'altitude du regard des Ancêtres, entre autres parmi les capitaines de la charrue, bien au-delà du terroir, sur les épaules de qui nous sommes toujours à naître.
Bonne Fête nationale!

Arc en cercle

Réécriture d'un texte publié dans le Train le 30 août 2008.


***


Autour du petit poulailler en bardeaux,
effondré depuis trente ans,
enterré sous les herbes et les lys,
les craquias, les framboisiers,
la malice des mûriers
il y avait les poules grises
que j’allais nourrir, gamin;
elles me grignotaient dans les mains
avant de picorer ça et là
bien librement dans la cour
qui n'était pas grillagée
parmi les vers et les brindilles 
qui voltigent dans le ciel 

Où s'en vont 
tous ces fils embroussaillés,
ces crins d’archet,
ce fouillis dans la mémoire de paille
qui lève au vent?
Toutes ces troupes égarées?

Ces roses, ces ermites, 
ces amis pas toujours apprivoisés?

De la rosée du matin jusqu'à la tombée du serain,
veaux, vaches, cochons, minous, marmottes, 
petits suisses, porcs-épics, fourmis, papillons, chenilles,
moineaux, barbots, chauves-souris,
mouches à feu, nuits de tic tac à retardement
plantées là comme une flèche invisible
au-delà de l'écho éphémère
de l'humble chant journalier...

Les philosophes d’avant le mur
qui se rechargent de lumières
et qui n'ont jamais déroché les labours
estiment qu’il faut remonter loin,
plus loin que le champ d'errance 
de l’enfance de l'humanité?

Soif, désirs, rivière qui se glace
margelles des puits infinis
qui brûlent les yeux

Après l'éclat de l'enfance stroboscopique,
c'est l'obscurité pour toujours
où viennent, ver au bec, par les fentes,
ces éclaireurs évadés
vous indiquant parfois
la sortie.


22 juin 2014

Un rêveur qui passe...


Reprise, réécriture d'un texte publié sur le Train le 31 octobre 2006.

***



« En mil neuf cent un
Être un poète est un malheur
Surtout au temps de Nelligan
À Montréal
C'était comme être juif sous les nazis
Être seul avec son oiseau dans les mains
Son trésor » - Nelligan, Félix Leclerc (1978)


Illustation Richard Gagnon. Avenue Laval.


Une grande et belle maison
picotée de rimouski
avenue Laval, à Montréal

Où est accroché le violon?

La carafe de joie? 
La religion?
La prémisse irlandaise?

Il faut bâtir garçon solide
à la force du poignet
un garçon foreman 
un garçon 


un glaçon pendu au toit
se détache en vers cassés

Fils errant de Bohème
en crise, en Jésus Christ 
dans la chambre 
du haut !

Que sont ces pierreries qui ne muent pas?
Ces fourrés de mots que personne ne comprend? 
Ces rimes gaies, ces lubies, ces catins!
Ces tristesses infinies de pendule qui meure?

Que sont ces amis bizarres 

qui traînent dans le square?

Un piano au salon 
lustré noir immensément froid 

«Mendelssohn et Mozart, mariant leurs douceurs,

Ne s'entendent qu'en rêve...»

«Ah! la fatalité d'être une âme candide
En ce monde menteur, flétri, blasé, pervers...»

Sous les candélabres, 
la mère artiste
comme un ruisseau 
au printemps

pourtant!

jeune et triste!
déracinée 

Guipure trempée d'encre, 

la frissonne, 
l'oeil gris qui pleure 
devant deux portraits 
qui blessent

Marin à la dérive
Nouvelle Norvège 
givre, remembrance
ange noir déshabité
en camisoles de solitude
faisant semblant de lire 
jusqu'à quarante ans
mains de glace, 
à la bibliothèque de 
St-Jean-des-Fous

Tous les étants gisent gelés

Éteignez la lumière! Fou!

L'idiot aux cloches a trépassé.

C'était un grand poète 
taillé en art massif
un bel oiseau dévidé 

pleurez pleurez

oiseaux de février

chantez chantez 

«la Cyprine d'amour
cheveux épars, chairs nues..»

versez le vin...

soleils excessifs

« Laissez-le vivre ainsi sans lui faire de mal !

Laissez-le s'en aller; c'est un rêveur qui passe... »
- Un poète, 

Nelligan.


Photo : Amour Tremblay (1966), coll. Paul-Wyczynski.Première maison des Nelligan rue Laval, aujourd'hui le 3686, avenue Laval.
Tout près se trouve la Maison des écrivains. Nelligan est né rue de la Gauchetière le 24 décembre 1879. 

Note Bene : selon l'azur ajouré de Réjean Ducharme, il convient de prononcer Nez Lit Gant.



Nelligan, 70e anniversaire de sa mort en 2011

Cf. le beau site de Julie Anonyme
http://emilenelligan.free.fr/histoire.htm



21 juin 2014

Débosselage


Texte de janvier 2007 qui s'appelait Gratignure, rafistolé, redimensionné.

***


Débosselage

Autour de la grosse roche en feu
sur le bord du grand flanc 
des ciboles de nuits blanches
je ne t’ai pas dit
la frondeuse poudrerie
sur glaçons cannelés de xylophone
où s’émiettent de l'intérieur 
nos bracelets d’os

et par-delà la bruyante catastrophe
de tôle égouïnée, en débréchures, 
par en dessous de la chimie variable
des grappes de jours détachés
comme des chevaux en beau fusil
parmi les chiens compulsifs
qui se grattent le ventre au sang

dans l’écorce bouillante
serties de pierres muettes,
nous avons préféré prendre le champ
d'abord le fossé
puis le pow-wow
des égarés du continent

ton coeur 
se débattait 
dans la boîte
du truck

les étoiles
ont mis les
brakes

après, nous avons fait semblant.

27 janvier 2007 - 12 juillet 2014



20 juin 2014

L'éthique étriquée de Nathalie Normandeau


Dans une école de gars à Granby, Monsieur Rivard était notre professeur de géographie en troisième et quatrième secondaire. Dévoué, soucieux de former des citoyens informés et démocrates, il avait lancé une activité parascolaire d'information politique sur l'heure du midi, certes moins populaire que la boxe, néanmoins fréquentée avec assiduité par une dizaine d'élèves. Il s'agissait essentiellement d'une initiation aux rouages de notre système parlementaire hérité du Palais de Westminster et dont l'une des principales caractéristiques est la division des responsabilités entre le législatif et l'administration de la justice.

En rappelant ce cadre général à la commission Charbonneau pour situer ses responsabilités de ministre, certains commentateurs ont dit de Mme Normandeau qu'elle avait livré un exposé magistral et brillant, une leçon de politique. Je dirais pour ma part sans une once de méchanceté que c'était de bon aloi, mais d'un niveau « d'études secondaires ». Le hic, c'est qu'une ex-ministre et vice-première ministre chevronnée, intelligente, manifestement animée par le désir de servir le public utilise son expérience politique (inexorablement teintée par le long régime Charest que d’aucuns ont qualifié de corrompu) pour valider son fameux pouvoir discrétionnaire. Mme Normandeau a tout à fait raison d'affirmer qu'il est du devoir fondamental d'un ministre d'assumer ses décisions au regard des besoins et enjeux politiques de l'heure. Mais justifier sur le dos des fonctionnaires des décisions discrétionnaires discutables me semble être de l'ordre de la méprise et du mépris!

Les fonctionnaires, clame Mme Normandeau, font des recommandations corsetées par des procédures mur-à-mur, la sensibilité pragmatique du terrain peut leur échapper et le ou la ministre se doit, le cas échéant, de balancer le tout. Fort bien. Mais au lieu de jouer sur le tableau péjoratif de la bureaucratie, Mme Normandeau aurait pu aussi mieux que quiconque faire valoir que la couche bureaucratique est une police d'assurance de l'intérêt public faisant en sorte de conforter les pratiques au jour le jour à l'abri de l'arbitraire et la de la précipitation. Les règles sur lesquelles se basent les recommandations ne sont d'ailleurs pas instituées par les fonctionnaires : elles proviennent du législatif, du Conseil des ministres, etc. Or, comme le disait le professeur Georges A. Legault dans son cours Éthique et droit (Chaire d'éthique appliquée de l'Univ. de Sherbrooke), malgré la panoplie des procédures écrites et non écrites, tout n'est pas dit, tout ne peut pas être prescrit. Un fonctionnaire exerce le pouvoir que lui confère le ministre, il n'est pas un robot et il y aura toujours pour lui également une part de discrétion dans l'exercice de son jugement. C'est là le propre du travail des fonctionnaires qui se situe dans le droit administratif. En plus des lois, règlements, procédures, avis de conseils pratiques, etc., l'éthique, entendue ici à la suite de Guy Rocher, en complément du droit, au sens de régulation des comportements, joue un rôle vital et quotidien dans la mobilisation des fonctionnaires, des plus humbles jusqu'aux grands commis de l'État. 

Le tableau serait plus complet et plus net si Mme Normandeau en soufflant dans sa sarbacane avait considéré cette part de la réalité qui, dans le meilleur et le plus souhaitable des cas, contribue précisément à mettre en pratique l'éthique.

***





Presque l'été

C'est presque l'été. Et déjà ciboulettes passent fleurs de papier.

Photo JD

18 juin 2014

Ricochet


Ricochet, je soutiens ça au coton et vous invite à contribuer si ce n'est déjà fait. Sera possiblement un carrefour progressiste des plus vifs pour contrer - je l'espère au plus sacrant - l'atomisation de l'information qui fait tant l'affaire de quelques ennemis bien placés!

Tilleuls de ruelle


Je ne sais trop par quel lapsus j'ai pu confondre dans ce texte publié sur le Train en 2008 ce tilleul planté de mes mains avec le mot peuplier. J'ai dû glisser sur le lien, un peu facile,  peuple de peupliers... Je reprends le tout ici même s'il reste un je ne sais trop quoi à préciser...

***
    

Tilleuls de ruelle

Sous le charme d’une espèce de murmure
d'effleurement aux élisions de narcisses,
Photos Jacques Desmarais, ruelle 8277 Ste-Claire, Montréal, mai 2008.
ces peuples de tilleuls indomptables
aux bras grand ouverts 
experts en tendres jérémiades,
exhalent le sourire 
de l’ivreté parfumée 
dans une ruelle bien sage 
de la métropole
qui d'habitude n’est pas si gâtée


comme un beau papier à musique 
couleur de sucre verdâtre
et café jeune Rimbaud pas sérieux,


aphrodisiaque gondolé en spirale 
avec un zeste de camphre
de miel et de jonquille

au seuil de l’ombre de l’été 
couvant la noce
des abeilles et des pucerons en masse


quel luxueux congé de fauve qui flamboie 
dans le vent autochtone 
d'un quartier de l'Est
tout un après-midi durant, 
avec des plumes
de vieilles rengaines
ramassées sous le hamac
où fourmillent liaisons 
singulières et souterraines,
informulables brindilles  

à pattes d'oiseau cru  


Tilleuls mulâtres,  

papillons suaves, vibrants, 
invisibles embaumeurs
dans nos pensées légères 
qui se dégossent de la rouille 
des heures compliquées, 


brassée furtive 
notes croches et doubles croches 
de farnésol secret 




sur le fil si familier 
d'une corde à linge de mise à nu 
en sage reproduction 
des fantômes 
à venir

saison entre ciel et terre,  
avec ce friand désir d'énergie solaire 
qui se balance à l’air libre
en des habits volants, fluents, 
au gré du vent...


trapézistes hauts jouqués 
du Grand Cirque ordinaire 
aux premières loges
de l'arbre de la justice
et du repos sacré 

Venez donc souverains élixirs 
par clins d'oeil dispersés
faire la sieste avec le roi de la cour
drogué sous quatre cents feuilles de friselis 
en forme de coeur
par sauts de branches 
par nombres d'or salmigondis,
par clignement d’écureuils acrobates trop sapes...


Venez trancher de pierres blanches ce beau jour de semaine si clair!

13 mai 2008 — 18 juin 2014.

Crédits photos : jd.

L'Acadie québécoise


Ce magnifique documentaire de Phil Comeau est à voir. Nos voix ici sont métissées, répétons-le! Tant de traces acadiennes, méconnues, ancrées dans l'âme québécoise. 

13 juin 2014

Naomi Wise


Des histoires tristes aux fins de mémoire, il en pleut depuis toujours.

(En passant, l'autre soir au TNM lors d'une représentation de Les aiguilles et l'opium, nous avons entrevu la distinguée Anna).



 

Ommie Wise

12 juin 2014

Mardi Gras rebrassé par Pierre Kwenders & Radio Radio

C'est le début ce soir des FrancoFolies de Montréal.  L'an dernier, il y avait eu PK & Radio Radio avec cette éblouissante reprise du traditionnel cajun Mardi Gras.

Cinq visages pour Camille Brunelle au Off-Avignon 2014


« Moi qui rêve les yeux ouverts » (Guillaume Corbeil).
« Dans cet océan de boue où sombre la pensée » (Renaud, Fatigué).

Le Théâtre Petit À Petit présentera au Off-Avignon Cinq visages pour Camille Brunelle  de Guillaume Corbeil avec notamment l'excellent Francis Ducharme.

Photo Jacques Desmarais.  Francis Ducharme, Poésie sandwichs et autres soirs qui penchent, 25 sept.2011. 

Descente dans le monde en flux du moi moi moi « liké » et liché. 

Une interview radio avec l'auteur m'avait grandement donné envie de voir la pièce l'an dernier à L'Espace go. En souhaitant qu'elle repasse à Montréal.  (Sinon, mes amis Marie-France et Jean-Paul, des habitués d'Avignon, s'y rendront peut-être?)

Au même moment que la pièce était sur les planches, Maxime Catellier a écrit sur son blogue Mes biscuits préférés Pourquoi je démissionne de Facebook. Il y décrivait son mal au coeur de la grande vanité dégoulinante et marchandisée avec un bon marteau dans les mains : 

 « C'était devenu une habitude si ancrée, si tenace. Le matin, un café en main, je parcourais le «fil d'actualités» de Facebook™ et je nourrissais mon quotidien à l'auge de cette mise en scène de la vie des autres, et de la mienne en particulier. Véritable staside la pose ironique postmoderne, ce réseau social me divertissait, m'informait, me mettait en contact avec une foule de gens avec qui je n'aurais peu ou pas de contact, et surtout me faisait prodigieusement perdre mon temps. Au fil du temps, je me suis trouvé mille et une raisons pour justifier l'utilité de ce réseau : opportunités professionnelles, nourriture journalistique grâce aux nombreux liens mis en ligne par les «amis», débats initiés par un commentaire, etc... Je justifiais ma dépendance à ce réseau comme l'alcoolique le ferait à propos de sa «dernière» bière. Bref, j'avais besoin de cette vitrine et c'est pourquoi j'y passais tout ce temps... mais à la recherche de quoi?

Certains Casanovas du mardi après-midi prétexteront que ce site est l'équivalent d'un meat market virtuel, et je leur donne entièrement raison. Rien n'est plus facile, en effet, que de pêcher à l'aveugle dans cette mare aux illusions. Viendra peut-être le jour où ils pourront carrément baiser à travers l'écran. J'ironise à peine. Il demeure qu'au train où vont les choses, la simple conversation entre deux êtres humains se croisant par hasard dans la rue risque de devenir rare comme la démission d'un pape. Il n'est pas loin le jour où le téléphone intelligent, son GPS et ses applications, il sera possible de se le faire poser directement dans le fion. Et peu à peu, ces denrées rares comme l'acuité intellectuelle, le charme composé, l'esprit, l'humour, le hasard des rencontres iront rejoindre leurs semblables dans les poubelles de l'histoire. Peu à peu, le désir, ce principe sensible qui irrigue notre soif de connaître et de communiquer, ne sera plus qu'un manque. Un manque que l'on peut facilement combler en se connectant à notre réseau social. »

06 juin 2014

Interdit!

Quelle famille au juste?

Le bon Docteur Couillard dans ses habits tout neufs de premier ministre se fait populiste ce soir, je le paraphrase : On est comme une famille autour de la table, puis on se dit, coudon, faudra aller moins souvent au restaurant, remettre à plus tard l'achat d'une voiture neuve si on veut garder notre maison en ordre... Le gros bon sens! Mais qui est autour de la table? À qui ce bon père de famille s'adresse-t-il concrètement? Est-ce à ceux qui de toute façon vont continuer d'aller au resto bon an mal an, parce que se serrer la ceinture quand on en a quatre de rechange autour de la taille, plus des bretelles, plus des coussins, ça ne veut rien dire, avec déjà deux chars dans la cour, une maison, un chalet, deux voyages outre-mer en préparation? Ou bien s'agit-il de la petite famille des Îles-de-la-Madeleine qui est à loyer, jobs précaires, et qui attendrissait tant M. Couillard pendant la campagne électorale? Ou celle qui doit déjà « prioriser » la fin du mois d'août pour être en mesure d'acheter des souliers aux enfants qui retourneront à l'école? La classe politique au pouvoir depuis 40 ans au Québec a-t-elle seulement déjà eu l'idée d'inviter tout le monde autour de la table au lieu de faire miroiter des surlendemains qui chantent parce qu'on aura « ensemble » ménagé ? Dans les années 70, le mot d'ordre libéral était : le plus que le gâteau sera gros, le plus on pourra le partager. En 2014, c'est rendu : oubliez le gâteau! Ce n’est même pas sûr qu'on pourra « pérenniser » les casseroles pour faire la soupe.

NON! Ne touchez pas à nos casseroles! Même les vieilles tôles peuvent toujours joyeusement faire un beau tintamarre!

05 juin 2014

Le règne de la beauté de Denys Arcand

Je ne suis ni un fan, ni un spécialiste, mais j'ai toujours aimé les films de Denys Arcan qui restent longtemps dans la tête avec leurs petits coups de hache parfois subtils, parfois soulignés et longuement au crayon noir (les corridors d’hôpital par exemple). Pourquoi? Je ne sais trop, sinon ue Arcand est un cinéaste majeur.

Vu hier Le règne de la beauté. J'ai beaucoup aimé. J'étais seul dans la salle! Expérience inusitée. Mais je ne suis pas le seul à avoir apprécié malgré la pluie des critiques négatives. À mon goût à moi, rarement les saisons d'ici, le pays de Charlevoix, la ville de Québec, Toronto, un peu Paris, les maisons de rêves en bois, inabordables et pourtant bien réelles, puis en contre-point, le défilement de la vraie ville, celle des McDo, stations-service et petits motels cheaps, plus le fil des ambitions et le bad trip de jeunes loups professionnels « bien placés », rarement ce cadre n'aura été aussi bien campé, photographié de main de maître et interprété avec la retenue pertinente des âmes bien nées, encore si jeunes... Le Québécois « moyen-bourgeois », si compétent et full equip à la chasse, au golf, au tennis, au basket, en ski, au hockey, à la culture du pot, brillant en apparence partout, y compris sur la scène internationale, fort en amitié, fort en manque d'amour et en contentement quotidien, loin des Kadhafi ensanglantés de l’actualité, ce Québécois jeune et beau n'échappe pas dans le jet set du capitalisme dit avancé à son humanité contradictoire qui nous contient tous*. La beauté, le bien, la vérité, ces gros canons de la philosophie occidentale, qu'est-ce à dire pour que ça tienne debout dans nos existences en cette fin d'un monde si cruel et déconnecté?

En complément :
Dominique Corneillier, Le règne de la beauté ou la dictature du vide absolu, Le Devoir, 24 mai 2014.



* Je m'inspire ici d'un commentaire de René Merle sur son blogue que j'ai aimé à propos des personnages des films qu'il regarde et de cette idée directrice de Montaigne - chacun porte en lui l'entièreté de l'humaine condition -. Merle écrit : « [...] s’il me fallait évacuer de mes visionnages et de mes lectures tous les personnages qui ne portent pas directement, ou pas du tout, le poids de l’exploitation capitaliste, il n’en resterait pas beaucoup. »